Pierre Hibon


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 71).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Pierre Hibon

Est de Calais, âgé de 66 ans, c’est même un de ces anciens de Madagascar. Il est potier de terre, et maçon de sa profession. Cet homme cy est fort entendu, qui a eu de bonnes éducations, qui sçait très bien lire et écrire, et parfaitement l’arithmétique, avec cela homme de bon conseil, équitable dans ses avis, et qui ne parle qu’avec beaucoup de poids, et après avoir bien digéré ce qu’il doit dire, il est un des meilleurs travailleurs, des plus laborieux et le plus riche de toute l’isle, car l’on ne luy compte as moins que 20 à 25000 Ecus d’argent comptant ; enfin à l’avarice près, il serait fort honnête homme mais son avarice est si grande qu’elle détruit beaucoup de ses bonnes qualités, et il est bien sûr qu’on ne verra paraitre au jour le nombre de ses écus, qu’après qu’il sera mort. J’ay vu que par plaisir des habitants on fait des marques à des pièces d’argent, en les envoyant chez luy, qui n’ont jamais reparu ; il a pour épouse Jeanne Lacroix de Boulogne, qui n’est pas moins laborieuse que luy, ny aussy moins avaricieuse, car elle a mieux aimé garder un flux de sang six ans durant, que de dépenser quelque chose pour se faire traiter par un chirurgien ; je ne croy pas qu’il fut jamais une dévergondée, ny plus dissolue en paroles, ny qui ait la langue plus médisante que cette femme ce que son mary n’a jamais pu venir à bout de réprimer, il a 4 grands garçons et 2 grandes filles 10 Noirs et 6 Négresses, presque tous créols, il n’est pas possible de s’imaginer le travil qui se fait dans cette maison, avec ce nombre de personnes car il n’y en a pas un qui n’ait le cœur porté au travail, et même ses garçons sont vulgairement appelés les loups du bois, car ils y sont toujours et il leur est aussy extraordinaire de coucher chez eux qu’à d’autres de coucher dehors, car supposez, qu’ils ne soient pas dans les bois, ils vont coucher au bord de la mer, pour attendre la tortue, lorsqu’elle bien à terre pour y pondre, de sorte que cs gens travaillent jour et nuit, sans avoir jamais couché dans un lit, avec cela ils sont tous bons charpentiers et menuisiers, aussy sont ils établis, et logés mieux que personne de l’isle, et cultivent deux des plus considérables déffriches de toute l’isle à la montagne ; où ils ont, cependant malgré leurs grandes forces, à beaucoup près plus de terre qu’ils ne peuvent en cultiver, quand même, ils auraient dix fois plus de Noirs qu’ils en possèdent ; outre cela, ils cultivent dans toute son étendue une habitation considérable, au bord de l’Étang où ils demeurent, ils font de si abondantes récoltes dans tous ces endroits, que du surplus de leur nécessaire, quoy qu’ils vivent splendidement, ils font plus de 500 Ecus de leurs seules denrées, volailles et légumes, non compris plus de 1000 callebasses de frangorin, qu’ils vendent 30s pièce, et plus de 500 bouteilles d’eau de vie de sucre qu’ils vendent un Ecu la bouteille, et lorsque l’on achète les pains blancs de froment tous faits, ils le vendent 30s pesant 4 livres, en sorte que ces gens font constamment, tous les ans, plus de 1500 Ecus de revenu de leurs habitations ; il a fait voir qu’il possédait parfaitement la profession de maçon lorsque l’on a construit une nouvelle église de pierre au quartier de St Paul, dont il fut le Maistre maçon de la maison et du magasin de pierre que la Compagnie possède au quartier de St Denis ; quant à leurs bestiaux, ils les élève au Boucan de L’aleu qu’il a acheté de la Compagnie , dont le nombre est de 30 boeufs, 20 moutons et 10 cochons, il faut considérer qu’il ne possède pas un plus grand nombre de bestiaux, que c’est qu’il n’a point jusqu’icy de lieu propre pour cela ; mais bientôt l’on verra, qu’il en sera mieux fourni que les autres habitants, qui ont longtems commencé avant, il possède au même lieu, Boucan de Laleu, considérablement de terrain à la montagne ; où il n’a pas encore eu le temps de faire de deffrichez, et qu’il ne peut quoy qu’il fasse défricher la dixième partie du terrain qu’il possède dans cet endroit ; les deux filles de cette maison n’ont pas mon d’inclination au travail que leurs frères, et outre qu’elles font comme eux, les travaux pénibles, elles ne laissent pas de filer le coton, dont elles font elles même des pièces de toile, qui ont 2 ou 300 aunes, et d’un fort bon usé, la vérité est que ces filles se récompensent la nuit de leurs peines du jour, car elles sont fort libertines, et sous le prétexte d’aller à la pesche à l’étang, elles vont souvent à la chasse, et prennent si bien leurs mesures qu’elles ne manquent point le gibier au giste, ces gens icy savent encor faire profit de cette pesche, ils s’occupent à cela, les festes et dimanches, ou quand ils n’ont rien à faire, cela leur sert de divertissement, mais ils ne laissent pas que de faire de bonnes salaisons de ce poisson, et le vendent aux vaisseaux, qui passent à l’isle, enfin, ils font argent de tout, et n’en dépensent pas quoy que ce soit ; pour sçavoir quelle est la récolte de ces gens icy, il n’en faut pas juger par le recensement, car pour ne pas paraître riches, ils n’accusent jamais le quart de ce qu’ils recueillent, non plus que la plupart des habitans richards, qui vivent avec la même avarice que celui cy ; j’obmettais à dire que l’on ne pouvait manquer de distribuer quantité de pieds de poivrier à cet homme cy, qui assurément les fera profiter aussy bien qu’aucune autre personne à qui l’on en pourra donner, aussy bien que toutes les autres choses, que l’on enverra pour le nouvel établissement, que l’on veut faire à l’Isle Bourbon.



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