Le Sr Jacques Aubert


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 59).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Le Sr Jacques Aubert

Est d’Angers, agé de 45 ans, il fut à l’Isle de Bourbon, avec Monsieur de Vauboulon, où il a servy la Compagnie, en qualité de menuisier, il possède ce métier en perfection, et depuis son établissement, il s’est si fort attaché à tout, qu’il sçait un peu de chaque chose, et réussit admirablement bien à tout ce qu’il entreprend, honnête homme, conduisant avec une sagesse admirable tous les habitans de St Paul, dont il est Capitaine de quartier ; gardant toujours un juste équilibre en tout ce qu’il fait, homme de bonne conversation, sçavant même dans l’histoire, à quoy il s’est beaucoup appliqué, et gardant un ordre chez luy qu’aucun autre n’égale, élevant ses enfans avec toute l’éducation qu’il est capable de leur donner, et de la dernière intégrité à l’égard de ses Noirs, enfin on peut dire qu’il est le seul de son espèce dans l’isle, et qu’il n’y en a point, qui l’égale en capacité, en probité et en sagesse, et l’on voit bien qu’il est né, pour estre autre chose que menuisier ; avec cela, il est très laborieux, et d’une propreté dans sa maison, qui fait bien voir lorsque l’on entre chez luy, qu’il se distingue des autres, il est affectionné à son employ de Capitaine de quartier, autant qu’on le peut souhaiter, et surtout, lorsqu’il s’agit du service de la Compagnie, ce que l’on a remarqué toutes les fois qu’il a passé des vaisseaux, où il s’est donné tous les mouvemens, et tous les soins qui ont dépendu de luy, et non pas souvent sans frais, car il reçoit agréablement chez luy les Capitaines, Officiers des vaisseaux ; lesquels pour la pluspart sont ingrats, et ne reconnaissent pas les honnetetés que l’on leur fait, se persuadant que cela leur est deu, et que l’on leur est encor trop obligé. Je dis cecy pour l’avoir souvent expérimenté à mes dépens. C’est aussy chez luy que réside le Gouverneur lorsqu’il vient à St Paul, et c’est ce qui, souvent, luy attire cet embarras, et celle dépense ; lorsque nous sommes partis de l’isle, il devait se démettre de son employ, Monsieur de Charanville l’ayant maltraitté sur différents faits, où il ne l’avait assurément pas mérité, et qui plus est, le recevant agréablement chez luy, toutes les fois qu’il vient à St Paul, sans en avoir jamais rien exigé à quoy il n’est point obligé, sans que pour cela Monsieur de Charanville y eut égard, non plus que Monsieur de Harembourq, en quoy il trouvait une grande différence ; c’est cet homme icy qui avait élevé un pied de poivrier, duquel on pouvait espérer un heureux succès, s’il n’avait point esté arraché, ou mangé par les cochons, et l’on peut dire que s’il y a de sa faute, qu’il en a bien suby la peine car il a fait comme St Pierre, qui pleura toute sa vie son pêché, aussy celuy cy ne peut jamais parler du pied de poivrier, que les larmes ne luy viennent aux yeux, et il est bien certain que si l’on en renvoye à l’Isle Bourbon, qu’il sera le premier à en avoir, ainsy l’on ne peut manquer de luy en remettre beaucoup, aussy bien que de toutes les autres choses qu’on y apportera, desquelles il ne manquera assurément pas de prendre grand soin, il possède quantité de bonnes terres divisées en lusieurs endroits tant aux montagnes, qu’aux environs de l’Étang de St Paul, sur lesquelles il fait de très abondantes récoltes qui le font vivre un des mieux de toute l’isle, mais il ne peu quoy qu’il ait 9 Noirs, et 5 Négresses presque tous créols, deffricher, et cultiver toutes celles qu’il a aux montagnes, à l’une desquelles, il a une vigne qu’il cultive avec grand soin ; il fait sa résidence sur les Sables de St Paul, et de rien qu’estait cet endroit, il en fait un petit enchantement ; premièrement il a transporté du ciendan de St Denis en racine, et en graine, qu’il a planté, et semé à cent pas au plus aux environs de sa maison ; tout ce chiendan a pris et fait une verdure charmante, c’est même de cela qu’il élève ses moutons, plusieurs à son imitation en ont fait autant, ensuite il a planté des arbres : dattiers à distance égale, entre lesquels il a mis des arbres dont je ne sçay pas le nom, qui portent des fleurs toute l’année, et en a formeé des avenues en forme d’étoile tout autour de sa maison, ensuite que, de quelque costé que l’on vienne, on voit cette maison en perspective, outre cela, il a planté 20 arbres tamariniers au devant de sa porte qui sont à présent tous grands, qu’il entretient à égale hauteur, et qu’il a si metrisez de manière qu’à quelque heure du jour que ce soit et en tous temps de l’année, on peut se promener, et manger à l’ombre ; il a à présent beaucoup de ces arbres dattiers, tamariniers sur les Sables de St Paul, qui en seraient touts couverts si chacun y apportait le même soin, ce serait même un ordre à donner aux habitans, car dans les grandes chaleurs il n’est pas possible de suporter l’ardeur des sables, qui sont brûlans comme le feu même, et cela est insupportable surtout pour les habitans, qui marchent presque tous pieds nuds, et s’il y avait de ces arbres plantés qui ne demandent pas d’autres soins que d’estre arrouzés dans le commencement, jusqu’à ce qu’ils aient pris racine, on marcherait commodément partout sur ces sables, en quelque temps que ce fût. Le chiendan que l’on y semerait n’estant pas bruslé par l’ardeur du soleil, en viendrait beaucoup mieux, outre que ces maisons seraient cachées par ces arbres de la veüe de la rade, et par conséquent moins sujettes à l’insulte des ennemis, supposé que l’envie leur prit d’y faire descente, et il ne faut pas grand temps à cela ; car les tamariniers que le Sr Aubert a aux environs de chez luy, ne peuvent avoir que 7 à 8 ans au plus, je les ay vu planter, et ces arbres sont à présent depuis le pied jusqu’au sommet de leurs branches de plus de 18 à 20 pieds de haut ; si l’on jugeait à propos de faire une ordonnance là dessus, il faut obliger chaques habitants, qui ont des emplacements sur les sables, de planter à 60 pas, plus ou moins selon l’étendue de son terrain autour de sa maison, de ces arbres tamariniers. Il y en a au presbitère suffisament pour cela, et les obliger sous de vigoureuses peines d’en prendre soin, jusqu’à ce qu’ils eussent pris racine, et les obliger s’il en mourait quelqu’un d’en replanter un autre à quoy un homme soigneux aurait l’œil, et surement dans 8 ou 10 ans, tous les sables en seraient garnis. Je ne vois rien de juste, dans l’ordre que l’on ferait à ce sujet, ou ce ne serait que la paresse des habitans qui le ferait trouver tel, car cela serait pour leur propre commodité, et en quelque manière, pour la sureté de leurs biens ; la crainte que j’ay d’estre ennuyeux par ce long, et pt peut estre inutile narré, fait que je ne m’étends pas davantage sur ce sujet. J’en reviens donc au Sieur Aubert, il a pour épouse Anne Launay créole mulatresse, qui est tout à fait impotente, et qui est presque toujours au lit, ne pouvant agir à quoy que ce soit, de sorte qu’il n’est soulagé en rien de cette femme, et qu’il faut qu’il soir le tout chez luy. Cependant, il supporte cette adversité avec un patience admirable, et en prend tout le soin possible, sans avoir jamais murmuré un moment, contre les décrets des Soigneurs, qui l’a ainsy ordonné ; il a eu de ce mariage : 2 garçons, et une fille qui sont tous grands, les 2 garçons demeurant avec luy, sont sages, laborieux et on toutes les bonnes inclinations de leur père, comme aussy toute sn éducation ; quant à la fille, il la fait élever chez la Cauzan, dont j’ay, cy dessus parlé, à l’exception de ces moutons, qu’il élève à St Paul, les autres sont élevés à St Gilles à un lieu appelé Le Boucan du Canot, et à une autre endroit, apellé Les Colimaçons, dont le nombre est de 70 boeufs, 60 moutons, 40 cochons, 300 cabrits et 4 chevaux, il peut avoir d’argent 2000 Ecus, lorsque nous sommes partis, il se proposait de planter la vigne, sur les sables auprès de sa caze, où il se promettait de le faire réussir, et dont je ne doute point : c’est aussy ce même Jacques Aubert qui a esté l’entrepreneur de la nouvelle église de pierre que l’on a bâtie à St Paul, il l’a tracée selon son génie, qui est fort bien, et en a fait toute la charpente, aydé de quelques créols, qui assurément est toute des plus belles, et des mieux entendues. Il ne fallait pas moins d’un homme aussy soigneux que luy, pour mettre cette église à sa perfection comme elle est aujourd’huy car, outre qu’il y passait les journées entières à y travailler luy même, il fallair encor qu’il conduisit tout cet ouvrage de l’œil, et qu’il alligna toutes les pièces de bois, et qu’il tint un rolle, jour par jour de ceux, qui avaient travaillé, ou qui y avaient envoyé leurs Noirs, affin que chacun travaillât à son tour, sans qu’il y eut personne de foulé, ny d’exempt, en quoy il a observé un ordre fort régulier sans que qui que ce soit aye eu lieu de se plaindre.



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