Jean Gruchet


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 66).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
©️Vous êtes autorisé à copier tout ou partie de ce document à condition de créer un lien vers cette page.

Jean Gruchet

Est de Lizieux en Normandie, agé de 40 ans, il fut à l’Isle Bourbon, avec Monsieur de Vauboulon, où il a servy la Compagnie en qualité d’armurier, qui est sa profession, c’est un homme sans éducation, qui ne sçait ny lire ny écrire ; il n’en fut jamais vu, qui eut plus l’apparence d’un innocent, ou pour mieux dire d’une beste, que luy, mais qui en effet le soit moins, lorsqu’il s’établit, il ne sçavait point d’autre profession, que celle d’arquebuzier, à présent il est charpentier, menuisier, coutelier, serrurier, forgeron, taillandier, orphevre et fripon en toutes ces différentes vocations, aussy a t il gangé beaucoup de bien et est à présent un des plus riches habitans de l’isle, surtout en argent, car assurément, il doit avoir plus de 600 Ecus et avc cela des mieux nipés, et 5 Noirs et 4 Négresses. Je croy même estre fort modéré, en ne luy comptant que 6000 Ecus d’argent comptant, et très surement, il en a d’avantage, tout autre que luy, qui eut voulu estre aussy fripon, aurait sans doute gagné autant de bien, car il ne se fait pas scrupule, lorsque l’on luy donne 20 piastres pour faire une tasse de ne la rendre pezante que de 10 encor faut il payer la façon 4 Ecus, ou si c’est de l’or, et que l’on luy donne 20 sequins, pour faire une croix, il croit vous faire graces de la rendre pezante que de 3 ou 4, et il est arrivé, et je l’ay vu, que pour 35 sequins, il n’en a rendu que 7 pezans, et dit pour toutes raisons, ce n’est pas mon métier pourquoy me le faites vous faire, ou bien : votre or ne valait rien de cette manière, il est le voleur des voleurs mêmes car un philibustier qui veut faire présent à sa maitresse d’une croix d’or, ou de quelqu’autre bijoux, pas par là dessus. Ce qu’il de a de facheux, c’est que si un habitant a besoin de se faire faire une tasse, ou des cuillers, et fourchettes, il est obligé, malgré qu’il en ait ou de s’en passer, ou de se laisser impunément voler, avec cela il n’a jamais accomodé un fuzil, ny autre arme à aucun habitant qu’il n’aye fallu luy reporter 3 jours après, car il les gâte, au lieu de les accomoder, et trouve toujours quelques mauvaises raisons à dire ; il n’agit, pourtant en cela, que par pure malice, et pour faire venir l’eau au moulin, car il est très bon ouvrier, et le fait bien voir lorsqu’il a quelqu’amis, enfin, il en fait la même chose, dans toutes les autres professions et on peut dire, pour faire son panégyrique dans un mot qu’il est le voleur public ; en vérité, tout cecy, et bien d’autres choses dont j’ay parlé, et dont je parleray encor avant que de finir ce mémoire, méritent que l’on fasse attention à mettre un petit règlement de police à l’Isle Bourbon, car il semble, sur le pied qu’elle est aujourd’huy , que chaque habitant dans sa maison soit autant de petits souverains, qui taillent et coupent tout à leur fantaisie, sans avoir presque d’égard à l’autorité des gouverneurs lesquels souvent aussy ne savent pas se la maintenir, et se faire obéir, et craindre, quand il est de raison ; il ne faut à ces habitants là, absolument ny tort, ny grâce, car si l’on est trop facile, ils en abusent, et s’il on est trop méchant, ils sont rebelles, ainsy il faut fgarder un juste équilibre en cela, en ne leur pardonnant rien ny aussy les chagriner mal à propos. Ce Jean Gruchet icy est très laborieux et fort soigneux de la culture de ses terres, aussy fait il d’abondantes récoltes à la montagne, où il a cependant, à beaucoup près, plus de terres, qu’il n’est en état de cultiver ; il fait sa résidence, sur les Sables de St Paul, où il a des belles maisons du quartier, où il élève ses moutons, qui sont au nombre de 30, quant à ses autres bestiaux, qui consistent en 15 bœufs, et 130 cabrits, il les élève à St Gilles, à un lieu appelé Le Boucan du Canot. Il a dans ce même endroit une pièce de terre à la montagne en friche. Il a pour épouse Jeanne Bellon créole blanche, qui a eu d’assez bonnes éducations et qui prend grand soin d’élever 5 filles qu’elle a eu de son mariage, bonne femme, très laborieuse, et de qui l’on ne peut taxer la conduite, mais qui est vigoureuse aussy bien que ses autres sœurs les Bellon dont j’ay parlé, et devant qui son mary n’oserait branler. Au surplus cet homme cy n’est ny ivrogne, ny joueur, et est fort assidu au service divin, il affecte même une grande dévotion, qui véritablement édiffirait, si ses actions ne la démentaient pas, il est fort craintif et les seules menaces le font trembler depuis les pieds jusqu’à la teste, mais avec cela désobéissant, car il a toujours quelque maladie de commande, pour ne pas faire ce qui luy est ordonné.



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *