Jean Fontaine ⭐


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 65).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Jean Fontaine

Est un créol mulâre agé de 35 ans, frère de celuy dont je viens de parler ; et qui en a toutes les inclinations, à l’exception qu’il n’est pas fripon et que ses vices sont cachez sous un visage composé qui fait juger à ceux qui ne le connaissent pas, qu’il est très honnête homme, mais le fait est qu’il n’en vaut pas mieux, au contraire, car on peut se deffier d’un homme, qui n’a pas la physionnomie d’estre honnête homme, et on se laisse facilement surprendre par celuy, qui a l’aparrence de l’estre. Celuy cy profite bien de ce mauvais avantage ; car sous l’apparence d’une grande douceur, et de son zèle à se rendre serviable au public dans son métier de charpentier, qu’il sçait fort bien il s’insinue partout et trompe tout le monde ; cela luy fournit même l’occasion de suborner une quantité de femmes, en quoy il est fort adroit, et l’on prétend, qu’il n’en exempte pas ses parentes, même les plus proches, et pour s’éviter les reproches que sa femme luy pourait faire là dessus, ou pour n’avoir pas occasion de la voir, lorsqu’il a esté 8 ou 15 jours dehors, lorsqu’il rentre chez luy, il commence par faire beaucoup de bruit, et souvent la maltraite cruellement jusqu’à luy casser 2 ou 3 bâtons sur le corps ; il n’est pas plus indulgent à l’égard de ses Noirs ; il est le 2° mary de cette femme ; c’est une créole mulatresse, laquelle a eu 2 grandes filles de son premier mariage, sur lesquelles celuy cy exerce la même rigueur ; cette femme icy, est d’une grande douceur, et souffre patiemment tous les chagrins, que son mary luy donne, elle ne manque ny d’éducation, ny d’esprit, et élève très bien ses enfants, qui sont quatre, 3 filles et un garçon, elle est très soigneuse de son ménage, et fort bonne lingère, on prétend, cependant, qu’elle se vange quelque fois de son mary, mais cela n’est pas autrement vulgaire, et si cela est, on peut plustôt luy en attribuer la faute, qu’à elle, car il est certain qu’elle l’aime véritablement et que son inclination ne serait pas portée à la débauche, si son mary luy donnait quelque contentement, mais, il arrive souvent que ce sont les maris eux-mêmes qui s’attirent la disgrace qu’ils craignent le plus ; cet homme cy possède 2 Noirs et 2 Négresses avec lesquels il ne cultive pas toute la terre qu’il pourrait faire, surtout celle qu’il a au Vieux St Paul sur laquelle il ne recueille que quelque peu de ris et de cannes de sucre, avec quoy il sucre, tant que le frangorin dure chez luy, il possède n autre terrain à la montagne qui est en friche ; à quoy il s’occupe le plus, c’est à la charpente, encor ne travaille t il que par caprice. Il a cependant fait, à la longueur du temps une très belle maison, et des mieux construites du quartier, où il demeure située au Vieux St Paul, où il pourrait élever quantité de bestiaux, mais il ne s’y attache pas, et ceux qu’il a, ne consistent qu’en 4 bœufs, et 5 cochons, il est fort bien nipé, et propre chez luy, et peut avoir de 2 à 300 Ecus, mais cela ne vient pas de son labeur, c’est cette femme qu’il épousa, qu’il trouva fort à son aise, et dont il n’a pas commencé à dissiper le bien, ce drolle icy a la précaution pour que l’on ne trouve point à mordre sur son désordre de ne se laisser jamais surprendre du côté de la désobéissance, et est toujours le premier prêt, lorsqu’il s’agit de quelques corvées, ou travaux publics, et en ce cas, il en fait seul, autant que deux autres. Il n’y a pas, dans toute l’isle un meilleur furet pour découvrir les Noirs marons, et pourvu qu’il les approche à une lieue aux environs, il les sent et ne manque pas d’aller droit à l’endroit où ils sont. Aussy est il souvent employé à cela, et n’hésite jamais à le faire, et sans dire, comme la pluspart des autres : ce n’est pas mon tour.



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