Jacques Léger ⭐


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 61).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Jacques Léger

Est de Rouen, en Normandie, agé de 48 ans, il resta à l’Isle de Bourbon, sous le Gouvernement de Monsieur de la Cour, je ne sçaiy positivement pas en quelle année, d’un vaisseau interlope anglais qui venant de Madagascar à l’Isle Bourbon, pour u faire la traitte, y passa ledit Léger, qui estait à Madagascar depuis plusieurs années, et où il estait resté d’un brigandin qu’il y avait amené de l’Amérique, qu’il commandait un philibuste quoy que fort incapable de le faire, et qui s’estait rendu fourban à la paix ; cet homme icy a eu quelques éducations, il sçait lire, et écrire encor fort mal, avec cela, sans aucune science que celle de sçavoir un peu de manœuvre qu’il a apprise en philibuste, layant fait toute sa vie et point du tout le pilotage, quoy qu’il aye commandé. Il se mesle aussy un peu de la chirurgie, et de la médecine, qu’il s’est persuadé de sçavoir, mais il n’a jamais entrepris quelqu’un qui par épargne se soit mis entre ses mains, qu’il ne les ait estropié, ou rendu plus malades, que lorsqu’il commençait à les traiter, de sorte qu’il n’y a pas de meilleure pratique pour les chirurgiens que cet homme, car il leur taille de la besogne et il faut toujours en venir à avoir recours à eux ; il n’y a pas dans toute l’isle, un homme plus intrigant que celuy cy, pour trouver les moyens de gagner de l’argent, et est heureux dans tout ce qu’il entreprend, il gâgne souvent même dans des occasions, où d’autres ne manqueraient pas de perdre, de sorte que s’il n’estait pas joueur et ivrogne, il serait un des plus riches de toute l’isle, mais le jeu luy dissipe une grande partie de tout ce qu’il peut faire, il ne laisse pourtant pas, que d’estre fort à son aise, car outre qu’il est très bien nipé, il peut encor avoir d’argent comptant plus de 1500 Ecus. Il possède une place et maison sur les Sables de St Paul où il demeure peu, estant presque toujours luy et sa famille aux Trois Bassins, distant de trois lieues de St Paul, où est son habitation, qu’il cultive avec beaucoup de succès à l’ayde de 7 Noirs et 3 Négresses, mais qui ne suffisent pas pour deffricher, et cultiver le grand espace de terrain qu’il possède à la montagne où est située son habitation, et sur laquelle il fait sa récolte. C’est à ce même lieu, mais en bas, qu’il élève ses bestiaux ; dont la quantité est de 250 bœufs, 200 cabrits, 100 cochons et 5 chevaux. De ces 250 bœufs qui luy appartiennent, il n’en a pas 100 dont il puisse jouir, et emparquer, les autres s’estant rendus marons dans les montagnes, mais sur ses propres terres, de sorte que lorsqu’il veut ramasser quelqu’un de ses boeufs marons pour les apprivoiser et emparquer, il faut qu’il les envoye prendre par quelques créols adroits, et que de 3 il en donne un pour la peine, ou s’il le fait tuer, il y en a un quartier pour celuy qui le tue ; cet homme icy est grand jureur, même par habitude, et a peu d’éducation car il est souvent des mois entiers sans venir à St Paul, pour y entendre la messe, ny y envoyer aucunes personnes de sa famille. Il a pour épouse Marie Sparon créole blanche, femme d’une grande douceur et qui a eu d’assés bonnes éducations, et de qui la conduite n’est blamée de personne ; laborieuse au possible, elle a beaucoup à souffir de la mauvaise humeur de son mary, car il la traite avec la dernière rigueur, s’il a quelque pénible travail à faire, c’est à elle à qui il le fait faire, plutôt qu’à ses Négresses qu’il préfère de beaucoup à elle, et avec lesquelles il trouve plus d’agrément qu’avec sa femme, sans se soucier qu’elle en ait une pleine et entière connaissance ; il a 4 enfants, sçavoir 1 garçon et 3 filles, dont cette femme prend tout le soin possible, et quoy qu’encor fort jeunes ils ont de bons principes : d’ailleurs, il est fort obéissant, et s’acquitte ponctuelement de ce qui luy est ordonné.



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