Jacques Lauret, le père ⭐


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 63).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Jacques Lauret, le père

Est de Nevers, agé de 64 ans, c’est encor un de ces anciens de Madagascar, il a même esté au siège de St Thomé, fait par Mr de la Haye, où il servait en qualité de soldat, dont il raporte une infinité de menteries. Cet homme cy a eu de fort bonnes éducations, il sçait lire et écrire, et ne manque pas de génie, mais c’est un brouille tout, et lorsqu’il y a quelque requeste à faire, ou quelque chose à représenter, il se donne un mouvement enragé pour cela, et puis quand il a bien engagé les autres, il trouve le secret de se retirer, et de ne pas paraitre y avoir coopéré ; il est tailleur de son métier, et fait grande profession d’estre ivrogne, et tout ancien habitant qu’il est, il a esté si peu ménager, que son établissement est un des plus mauvais, et cela, pour n’avoir jamais que demeurer stable, et se fixer dans une demeure assurée ayant toujours changé d’un quartier à l’autre, outre qu’à mesure qu’il luy vient de l’argent, il l’employe à boire, et non pas à se donner son nécessaire il pourait, cependant, à l’ayde de 4 grands garçons de fils, un Noir et une Négresse qu’il a, faire une belle habitation à la montagne, où il possède une espace considérable de terrain ; mais il morigine si mal ses enfans, et leur donne si peu d’éducation, qu’ils se sont tous rendus paresseux et libertins au possible, de sorte que cette terre reste en friche, et bien loin que ses enfans s’attachent à faire profiter leurs biens, c’est qu’ils détruisent et volent impunément celuy des autres, en quoy ils ont souvent esté pris en flagrant délit ; ce n’est pas là le seul deleurs vices, car ils sont putassiers et ivrognes, et ne sçavent pas l’ombre de leur doctrine ; outre ces 4 garçons il en a encor un nommé Henry Lauret, qui a déserté dans un fourban. Cet homme a pour épouse Marie Anne Fontaine, créole plus noire qu’un diable, qui en a toutes les inclinations, elle est ivrognesse ; elle jure, et fait des serments que les plus libertins n’oseraient faire, elle commet des sacrilèges énormes, et connus de tout le monde ; elle est la femme de tous les hommes qui se présentent, même des Noirs, et tout cela toléré par les enfans de son mary, dont elle n’est que la seconde femme, et de son propre consentement à luy même, car il a la complaisance lorsque quelqu’un vient chez luy, et qu’il est couché avec sa femme, de leur céder la place, pourvu que l’on luy donne une bouteille d’eau de vie, qu’il s’occupe à boire, pendant que l’on occupe sa femme à autre chose ; et l’on peut dire, pour trancher le mot, que cette maison est un bordel publicq, aussy bien pour les Noirs, que pour les blancs, car cette femme ne pouvant suffire à tous, prend grand soin de débaucher d’autres femmes, ou filles, que l’on est assuré de trouver chez elle ; et il arrive souvent qu’elles poussent l’énormité de leur débauche si loin, que les parens, même, les plus proches, se trouvent meslez, et confondus dans leurs abominables dérèglements, elle est cependant bonne lingère. Ce Jacques Lauret fait sa résidence sur les Sables de St Paul, où il a 4 bœufs, il possède aussy environ 300 cabrits, qu’il dit faire élever à la Petite Ance, entre St Gilles et St Paul, proche La Caverne, mais ces cabrits s’élèvent d’eux même, aussy se sont ils rendus presque tous marons dans les montagnes d’alentour, de sorte qu’ils deviennent les cabrits publicq, et sans doute un jour, cela se multipliera si fort, que l’on y fera la chasse, sans qu’il puisse s’y opposer, car il ne sçaurait réclamer et dire estre à luy, des bestiaux, qui ne sont pas sur ses terres, qui sont sans marque, et qu’il ne prend pas soin d’élever, au surplus, cet homme cy est encor un de ces mutins, qui n’obéissent qu’à regret, et qui ont toujours quelque représentation à faire, lorsque l’on leur donne quelques ordres.



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