Jacques de Lattre


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 40).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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Jacques de Lattre

Est un Ostendais, âgé de 46 ans, qui après plus de 30 de philibuste, a dissipé par le jeu, et par l’ivrognerie, vingt fois plus gros d’or qu’il n’est ; s’est enfin retiré à l’Isle Bourbon, en 1706 au mois de décembre, où il est à présent plus gueux que Job, il estait pourtant resté à terre avec 2200 Ecus dont il n’a pas fait meilleur usage que de tout l’argent, qu’il avait eu jusque là en sa disposition, il est ivrogne, jureur, joueur et paresseux tout ce que quatre autres pouraient estre, possédant chacun un seul de ces vices, et c’est vrayment, une perte considérable, car autant il a de mauvaises qualités, autant en aurait-il de bonnes, s’il les voulait aussy bien mettre en pratique, il a la plus belle mémoire du monde, il possède 6 à 7 sortes de langues à fond, il les sçait lire, écrire et traduire même jusqu’à la langue de Madagascar, il parle pertinament de tous les pays, où il a esté, et c’est presque partout le monde, l’on pourait assurément, en s’en donnant la peine former des journaux de tous ses voyages, car il a la mémoire si féconde, qu’il ait vu ou su quelque chose, depuis 35 ans, il s’en souvient comme si c’était sur le champ, et en raporte toutes les circonstances, c’est luy qui a servy d’interprète pour toutes les abjurations, que plusieurs anglais ont faites, et qui se sont établis à l’isle, dont il s’acquitta, avec toute l’éloquence possible, et à beaucoup près mieux qu’il ne luy était dit par le prêtre, entre les mains duquel l’abjuration estait faite, c’est de quoy je puis rendre un fidèle témoingnage, m’estant trouvé à toutes, et sçachant assés bien l’anglais, pour m’y estre bien connu ; mais il est fâcheux de voir que toutes ces belles qualités ne luy seront jamais d’aucun usage car ses mauvaises prévaudront toujours sur les bonnes. Il a pour épouse Geneviève Damour, créole fort bazannée beste au suprême degré, ne sçachant seulement pas l’ombre de sa religion, mais qui malgré sa bêtise, ne laisse pas de profiter du peu d’attention que son mary a sur sa conduite, il a eu de ce mariage un garçon qui est encor fort petit, il a 3 Noirs et 2 Négresses, qui lui font une récolte à peu près suffisante pour la subsistance, don il se contente, sans s’embarrasser de faire quelque chose de plus, ce qu’il pourait pourtant facilement avec ce nombre de Noirs, s’il y aportait ses soins, par la fertilité de son terrain, situé aux environs de la Rivière St Jean, dont il a une espace beaucoup plus considérable qu’il n’est en pouvoir de cultiver, le nombre de ses bestiaux, est d’un bœuf portant, 50 cochons et 4 chevaux, cet homme est obéissant et craintif, mais point de dévotion, et laisse carrière entière à ses Noirs, ce qui fait qu’ils sont de francs fripons, et connus pour tels de tout ce quartier, et dont les habitans se plaignent bien fort, il en a déjà eu un de pendu, et d’autres qui ont essuyé des chatimens de justice, au surplus il n’a point de profession autre que celle de matelot ayant toute sa vie fait la philibuste.



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