François Ricquebourcq


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 53).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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François Ricquebourcq

Est d’Amiens, en Picardie, agé de 63 ans, c’est un de ces anciens de Madagascar, cet homme cy est très sage, bon chréstien, qui a eu de bonnes éducations, il sçait lire et écrire, bien l’arithmétique, et le latin, et fort bien les rubriques de l’Eglise, il est même chantre, tout vieux qu’il est, et a possédé les charges de fabrice de la paroisse et de prieur de la confrairie de Notre Dame du Mont Carmel, de quoy il s’est très bien acquitté, et a rendu bon compte ; il est très laborieux, et fort paisible, et ne se meslant que du soin de sa famille, de bien élever ses enfants et leur donner de bonnes éducations, et de cultiver ses terres, en quoy il réussit parfaitement bien, et tous ses enfants sont 8 : sçavoir 3 garçons, et 5 filles, lesquels sont tous fort sages, à l’exception, cependant, de son fils aîné, âgé de 18 ans, qui est un franc vaurien, et dont se plaignent tous les habitans, il a contracté cela de sa mère, dont je parleray ensuitte ; ce garçon ne laisse pas d’estre bon charpentier, et menuisier et fort laborieux, mais méchant à la destruction des bestiaux de ses voisins, pour le seul plaisir de les tuer, car il n’en profite pas. L’aînée de ses filles est sçavante, et fort sage, elle sçait fort bien lire et écrire, et est très bonne couturière ; outre ce nombre d’enfans, il possède encore 5 Noirs, et 7 Négresses, qu’il conduit fort doucement sans les maltraiter mal à propos, et avec ce nombre d’enfants, et d’esclaves, il cultive une espace considérable de terrain, tant à la montagne, que dans les bas, où il fait de très abondantes récoltes, qui le font subsister commodement, et fait même beaucoup de profit du surplus de son nécessaire, malgré ce grand nombre de Noirs, et d’enfans, il ne peut cultiver dans son entier, toute la terre qu’il a à la montagne, mais il y élève des cabrits, et y a pour cet effet planté et semé du chiendan de St Denis ; il fait sa résidence sur les Sables de St Paul, où il élève ses bestiaux, dont le nombre consiste en 3 boeufs, 160 cabrits, 36 moutons et 16 cochons, l’on ne peut manquer de donner des poivriers à cet homme, car il les élèvera assurément avec soin. Après avoir parlé suffisament des facultez de cet homme, il faut faire connaitre quelles sont celles de son épouse, qui méritent bien qu’on en parle en particulier. Elle s’appelle Anne Bellon, créole blanche, femme très laborieuse, soigneuse au possible, qui prend grand soin de sa famille, et de l’éducation de ses enfants, et dont la vertu est sans reproche, mais avec toutes ces bonnes qualités, elle est plustôt un démon qu’une femme haye généralement de tout le monde, aussy ne se soucie t elle guère d’avoir des amis, et croirait avoir offensé Dieu si elle avait passé un seul jour sans avoir querelle avec quelqu’un, elle est de la dernière avarice, et tromperait son père, si l’occasion s’y présentait, furieuse, vindicative, et absolument la maitresse chez elle, et même de son mary, qui veut avoir la connaissance de tout ce qui se passe dans l’isle, s’il arrive que l’on fasse quelque assemblée d’habitans, elle fait rester son mary à la maison, et vient elle même, ou pour donner son avis, ou plus souvent pour brouiller tout, et si l’on s’avise de luy dire, que ce n’est point elle que l’on veut, et que c’est son mary, elle s’emporte comme un lyon, et chante poüilles à tout le monde, et l’on en n’a du repos, qu’après l’avoir mise dehors, et fermé la porte au nez, encore ne se rebute t elle pas, car elle commence de plus belle par la fenestre de sorte, que l’on est obligé de s’enfermer de toutes parts ; si l’on veut en avoir patience, cinquante avanies que l’on lui a faites de cette nature ne l’ont point rebutée, et c’est toujours à recommencer, à toutes les fois qu’il s’agit de terminer quelque chose par une assemblée d’habitans. Nous aurions fait son mari le greffier de l’isle, mais la connaissance que cette femme voulait avoir de tous les procès, et de ce qui se passait dans le conseil dont son mari n’estait pas le maistre de lui refuser la connaissance, fit qu’on lui osta cette charge, pour la donner au Sieur Joseph de Guigné.



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