François Bouché ⭐


Extrait du « Mémoire pour servir à la connaissance particulière de chaque habitant de l’Isle de Bourbon, divisés par les quartiers qu’ils habitent » rédigé en 1709 par Antoine Labbé dit Antoine Desforges-Boucher (1679-1725) alors garde-magasin de la Compagnie des Indes en l’Isle de Bourbon (aujourd’hui Île de la Réunion).

Source : Collection MARGRY, relative à l’histoire des Colonies et de la Marine françaises (vue 55).
Transcrit d’après une copie manuscrite du XIXème siècle dans le respect de l’orthographe (à l’accentuation, ponctuation et majuscules près pour une meilleure lisibilité).
⚠️Ce mémoire est destiné à un public averti, il contient des propos parfois controversés, offensants ou choquants.
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François Bouché

Est un homme agé de 45 ans, il est de Loches, il resta à l’Isle Bourbon, d’un vaisseau fourban il y a environ 15 ans ; cet homme a eu une jambe coupée par le Sieur le Prévost, d’un abcez, quy luy estait venu au pied, lequel ayant esté mal ouvert, par un nommé Jacques Leger habitant du quartier, que son avarice avait fait choisir pour cela, pour ne pas payer le chirurgien, il luy coupa un artère, dont on ne put jamais arrêter le sang, et il en fallut venir à couper la jambe, pour luy sauver la vie, de sorte que cet homme porte actuellement une jambe de bois, dont il se sert presque avec la même facilité, que s’il avait ses deux jambes naturelles, car il va partout dans les montagnes, et vient de St Gilles, où il demeure, festes et dimanches, à St Paul pour y entendre la messe, mettant à la vérité plus de temps à se rendre qu’un autre. Cet homme est fort sage, et très laborieux, mais sans aucune éducation, ny métier ; il a pour épouse, Gabrielle Bellon, créole blanche, qui est plustôt un diable incarné qu’une femme, sans éducation, et sans dévotion, étant quelques fois, des mois entiers sans venir à St Paul, pour y entendre la messe, ou quand elle y venait, c’estait toujours le samedy au soir, ou le dimanche avant le jour, mais comme il fallait passer au presbitère avant que d’arriver à l’Eglise, sa grande dévotion faisait qu’elle ne manquait jamais de s’y arrêter pour entretenir son pasteur, ou luy apporter du pain et l’on dit que leur conversation estait si longue, qu’elle y passait la nuit, où elle obtenait la dispense de continuer son chemin, pour aller jusqu’à l’Eglise. Cette femme est d’une cruauté pire que celle des barbares à l’égard de ses Noirs. Elle en a fait mourir 2 ou 3 sous les coups, et par la faim, voulant exiger d’eux plus que la force humaine ne permet de pouvoir faire, ses moindres châtiments sont, lorsque ce sont des garçons, de leur mettre une plaque de fer sur la bouche, qui prend de l’une à l’autre oreille, à laquelle est attaché par le milieu, un autre morceau de fer à peu près de la longueur de la bouche, qui leur entre jusqu’à la gorge, et leur empêche l’articulation de la langue, et de manger ; ce morceau de fer, qui couvre la bouche, a deux bouts qui viennent en serpentant, jusqu’au derrière de la teste, ou est un cadenas fermé à clef, et avec ce bel équipage, elle les enchaine à un pilon, pour piler du riz, sans leur donner à manger, que quelques fois, de trois jours l’un, et pour empêcher que d’autres ne leur en donnent, elle se sert de ce secret ; ou si ce sont des femmes, qu’elles soient mariées ou non, elle prend le barbare plaisir de les brusler toutes vives, non pas jusqu’à la mort, mais elle les rend si malades, qu’elle en meurent, car, c’est ordinairement les lieux, que la pudeur ne permet pas de dire qu’elle s’attache à brusler. Il y a eu, et j’en ay vu un petit enfant de ses Noirs, qu’elle a laissé manger, aux cochons, et une Négresse mariée, qu’elle enterra à St Gilles, disant qu’elle estait morte subitement, toutes ces choses, et bien d’autres, dont le détail serait trop long, auraient mérité de rigoureux châtimens, mais l’étendue du pouvoir, que l’on avait estait trop bornée pour cela, et personne ne veut rien prendre sur son compte, sur une matière si délicate ; c’est à l’occasion de cette femme, que Monsieur Hébert avait donné l’ordre de faire vendre les Noirs de ceux, qui les traiteraient avec trop de rigueur ; cette femme a encore le talent d’estre d’une médisance diabolique, méchante, furieuse, emportée, la maîtresse absolue chez elle, et même de son mary, qui n’oserait branler devant elle, avant même qu’il eut la jambe coupée, elle le fit sauter par les fenestres, le sabre à la main, elle a 4 beaux enfans, qu’elle élève comme des sauvages, ou pour mieux dire, comme des bestes féroces, son beau frère Jacques Beda avait pris l’aisné, chez luy, auquel il avait commencé à donner de bons principes, de la lecture, de l’écriture, mais cela ne luy a pas plu, il faut à sa fantaisie, que ses enfants soient méchants pour estre bons ; au milieu de tout cela, elle est très laborieuse, et elle fait seule, lorsqu’elle est dans une habitation plus que n’en feraient 3 bons Noirs, elle en possède à présent 4 et 5 Négresses avec lesquels elle cultive une grande espace de terre, et vit fort à son aise, mais il en ont à différents endroits à la montagne, trente fois plus qu’ils ne sont en état d’en deffricher, et ne cultivent, presque que celles qu’ils ont à leur porte en bas, où ils font le plus beau bled de toute l’isle, c’est à ce même endroit, où ils élèvent leurs bestiaux dont le nombre est de 20 moutons, 12 bœufs, 50 cabrits, 12 cochons et 1 cheval, ils peuvent avoir d’argent comptant 5 à 600 Ecus, ces gens ont à la montagne plusieurs pieds de vigne, qu’ils laissent périr faute de soins.



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